Alors qu’on ne cesse inlassablement de monter l’intégral de Molière aux quatre coins de la capitale, la dernière création de la compagnie Hercub’ à l’Etoile du Nord, Odyssées, ne pouvait qu’attirer l’attention des spectateurs plus curieux des maux de leur époque. Par son sujet même, l’immigration, la pièce affiche clairement son intention de traiter sans détour de « l’ici et maintenant ». Une démarche appréciable, mais décevante malheureusement.
« On pourra toujours trouver telle ou telle pièce du répertoire « terriblement actuelle », et même avec raison, mais qui peut mieux que les auteurs d’aujourd’hui observer, interpréter et donner à comprendre le monde d’aujourd’hui ? »
Ainsi la compagnie Hercub‘ justifie-t-elle son choix d’adapter au théâtre le texte de Gustave Akakpo. Soucieux d’apporter un regard nouveau, plus juste, sur le phénomène de l’immigration, l’auteur fait le choix d’ancrer son récit de l’autre côté de la méditerranée, là où tout commence. L’approche s’en voit totalement transformée : il ne s’agit plus d’intégration, mais de séparation. Au travers d’une multitude de scénettes, le spectateur parcourt le continent africain, des sentiers de village aux cohues des grandes villes, jusqu’à ce qu’enfin, la mer apparaisse.
Les personnages se succèdent et nous font partager des instants de vie, de joie le plus souvent. Ici, le parti pris est sans appel: point de pathos, de ce discours larmoyant que servent les médias baveux, quand bien même ils décident d’aborder le sujet. Sur scène, les êtres rencontrés se distinguent bien plutôt par leur inaltérable joie de vivre, d’exister et d’espérer. Avec eux, on sourit, parfois même on rit.
Pourtant, si Odyssées esquive assurément l’écueil du mélodramatique, ce n’est hélas que pour mieux sombrer dans l’extrême inverse. En effet, cette légèreté de ton qui nous invite à saluer la dignité bien plus que la misère des êtres, parce qu’elle marque sans discontinuer l’ensemble du voyage, finit par nous faire oublier la réalité dont il est question, bien moins plaisante. Regrettable donc que cette justesse de ton n’ait pas, à un moment ou un autre, servi un discours plus nourri.
Après quelques bonnes marrades, la raison s’impatiente tandis que va grandissante la désagréable impression d’assister sur la scène au défouloir de grands enfants. Bien que la seconde partie de la pièce se veuille le lieu d’un discours plus critique, ce dernier s’avère trop tardif et l’effet est manqué.
Si l’Odyssées d’Hercub’ ne parvient finalement pas à nous livrer un discours fort sur le sujet délicat de l’immigration, il est plaisant de constater que la pièce a tout de même su attirer un public considérable et varié. Autant de spectateurs demandeurs d’un théâtre du présent, qui interroge et bouscule, qui gêne parfois, et qui apprend toujours. Un public enfin qui rappelle que la création ne doit cesser de persévérer dans la recherche du mot juste, celui qui permettra de saisir le présent, toujours fuyant.
[Jusqu'au 20 Avril, Etudiant 8€]